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Les épices de la justice


Les épices de la justice

(Petit propos divertissant)



Au Moyen âge, les épiciers-apothicaires étaient de grands personnages ; le roi avait son épicier particulier. On les surnommait « épiciers d’enfer » ! Les redoutait-on ? En fait, c’est parce qu’ils vendaient des denrées faites pour exciter le palais. La corporation des épiciers était l’une des plus puissantes ; les gardes de l’Épicerie devaient faire au moins trois visites annuelles chez tous les marchands du corps, pour s'assurer de l'observation des règlements. Ils étaient, en outre, chargés de la surveillance des poids et mesures et pouvaient faire, à ce titre, des visites chez tous les commerçants et artisans débitant des marchandises.


Avant les « pots-de-vin », il y eut les paquets d’épices qui firent les affaires de la corporation des apothicaires-épiciers-confiseurs. A ce qu’en témoignent de nombreux écrits médiévaux parvenus jusqu’à nous, les épices constituaient un cadeau obligé pour la plupart des requérants. Ainsi, la supplique adressée par un abbé de Saint-Gilles à Louis VII s’accompagne de moult cornets de cannelle et de poivre. Suivant l’exemple des solliciteurs, il devient coutume dans le royaume de France de rétribuer l’intervention des gens de justice en épices. Après l’issue favorable d’un procès, le vainqueur offrait aux magistrats comme à ses avocats, un assortiment dit « épices des juges » qui était en fait « des épices de chambre » : graines aromatiques et épices enrobées de sucre que l’on picore avant le coucher non pour se nourrir pour se purifier l’haleine et faciliter la digestion. Puis l’usage s’instaure de gratifier les juges avant le jugement : chacune des parties peut alors tenter sa chance selon le présent déposé sur les plateaux de la balance. Les magistrats touchant dorénavant des deux mains, le pire était à craindre.


Saint Louis et après lui Philippe le Bel essayent de réglementer l’usage et ordonnent que cette rétribution ne dépasse pas « la quantité qu’ils pouvaient consommer quotidiennement dans leur maison et sans gaspillage ». Louis XI interdit que leur valeur dépasse 10 sous… en vain. Finalement, les bénéficiaires trouvèrent ennuyeux de négocier leurs épices auprès des apothicaires-épiciers qui les remettaient en circulation après les avoir payées en monnaies sonnantes et trébuchantes. S’ajoute qu’à la suite de l’apport en masse des épices en Occident, celles-ci deviennent si répandues à la Renaissance que les magistrats s’en plaignent au roi. Charles VI promulgue un texte précisant que désormais la rétribution des maîtres de justice se ferait en espèces et non plus en épices (d’où d’aucuns rapprochent l’expression payer en espèces de payer en épices).


Par tradition, le nom « épices »continua à désigner les frais d’un procès jusqu’à ce que la Révolution de 1789 ne vienne mettre un terme à cette « cuisine ». Cependant, les avocats continuent aujourd’hui encore à recevoir « des provisions » !


Jean-Paul Branlard

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