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Crevette, bouquet ?

Dernière mise à jour : 15 déc. 2020

Rubrique : La table et le droit

Droit alimentaire, culinaire et de la gastronomie

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Crevette, bouquet ?

Les appellations nationales ou locales, ou le changement de leur nom latin, qui engendrent des confusions, est peut-être ce qui caractérise le mieux la complexité du monde des crevettes. Silence ! Le juge va parler… Le Tribunal de Police de Marennes et en appel la Cour de Poitiers n'ont pas apprécié une vente de « crevettes du pays », alors qu'il s'agissait d'un lot provenant d'un pays...d'Afrique. Mais le contentieux judiciaire concerne surtout des ventes de crevettes sous l'appellation « bouquet » alors qu'elles ne peuvent y prétendre.



Les affaires jugées montrent bien la tromperie sur l'origine et la provenance géographiques. Ici un poissonnier baptise « bouquets » des crevettes du Sénégal. Là, un restaurateur sert au menu de simples crevettes roses du Danemark pour des « bouquets roses de Bretagne ». Ailleurs la justice rappelle à un hypermarché que les milieux professionnels ne peuvent ignorer le sens du terme « bouquet » inapplicable à l'espèce Penaeus duorarum burkenroad d'origine tropicale, alors que le bouquet constitue l'espèce Paloemon (jadis Leander) serratus fabricius.


Ces confusions sont d'autant plus condamnables que le bouquet se distingue des autres crevettes roses par des caractéristiques morphologiques précises. Il en impose par ses 7 ou 10 cm, sa livrée rose pâle translucide striée de fines rayures légèrement plus rouges et son rostre fièrement dressé. Pourquoi mentir ? Le Dictionnaire de l'Académie des Gastronomes (Ed. Prisma, Paris, vol. I, 1962, p. 295) donne le palémon-scie, espèce particulière à l'Atlantique, comme « infiniment supérieur, un des mets les plus fins ». Ce que reconnaît également l'Administration depuis longtemps (DG 821, BID 1990, n° 6, p.11)… Et un des mets les plus chers aussi.


Or, nul ne l'ignore, c'est l'addition, plus que les mets ingérés, qui rend parfois malade au restaurant. Pour preuve, voici un repas de mariage où l'on sert des « gambas au poivre rose ». La note du restaurateur apparaît abusivement salée au marié qui refuse de payer. Le litige s'avère délicat à trancher. L'un fonde sa prétention sur l'inadéquation entre la prestation espérée et celle exécutée. L'autre avance qu'en matière gastronomique la sanction est avant tout commerciale, liée à la réputation de l'établissement. S'ajoute qu'on ne saurait discuter des goûts, tant les appréciations des uns et des autres sont subjectives. Enfin, le client ne peut s'affranchir du règlement du prix d'un repas en invoquant sa déception en regard de la prestation attendue, alors qu'il a mangé tous les crustacés.

Le mieux aurait été que le juge goûte les crevettes. Mais la noce terminée, il ne pouvait qu'écouter. Selon le témoignage des invités, la quantité et la qualité servis ne correspondaient en rien au menu annoncé. En final, dans le cadre de son rôle de régulateur social, le tribunal de Béziers décide que le mari doit bénéficier d'une substantielle réduction de prix. Tout est bien qui finit bien... Vive les « bouquets » de la marée !

Jean-Paul Branlard – Droit réservé


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